Inferno le film, l’adaptation cinématographique du roman d’August Strindberg

Nous sommes en février 1896 à Paris : August Strindberg, célèbre dramaturge suédois, quitte la suède laissant derrière lui femme et enfant et emménage à l’Hôtel Orfila, au 60 rue d’Assas, près du Jardin du Luxembourg. « Une semaine après, descendant la rue d’Assas, je fis halte devant une maison d’aspect claustral. Une grande enseigne me révéla la nature de la propriété : Hôtel Orfila. Toujours Orfila ! Dans les chapitres suivants, je vais raconter tout ce qui s’est passé dans cette vieille maison où la main invisible me poussait afin que j’y fusse châtié, instruit et… pourquoi pas ? illuminé ! » (Inferno, 1897, Mercure de France 1966, Imaginaire Gallimard 1996, Paris).

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Strindberg est en proie à des « puissances » qui guident sa destinée d’une manière plutôt perverse. C’est la crise dite d’Inferno où l’alchimie, la physique et la métaphysique s’imposent comme les nouveaux fers de lance d’un Strindberg s’acharnant à vouloir transformer le souffre en or. Par l’influence des vapeurs toxiques issues de ses expériences et de l’absinthe dont il abusait à cette époque, l’esprit de Strindberg est inondé d’un flot d’hallucinations morbides voire occultes et ésotériques ainsi que d’un sentiment extrême de persécution allant jusqu’à la paranoïa la plus démente.

Aujourd’hui, Strindberg revient hanter l’Hôtel Orfila reproduit dans le film Inferno de Paul-Anthony Mille, jeune producteur et réalisateur français, fondateur de la société de production Kafard Films.

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Pourquoi avez-vous décidé de sortir votre film au cinéma gratuitement ?

Les films indépendants sont de plus en plus difficiles à financer,  je ne perds donc plus mon temps à chercher de l’argent auprès des institutions classiques. Je finance moi même mes  films et les distribue gratuitement. Je travaille toute l’année avec mon équipe dans ma société de production, et quand j’ai un peu d’argent, j’essaye de financer mes films et mon équipe évidemment m’accompagne. Cela fait longtemps qu’on ne veut plus gagner d’argent avec nos films, on veut juste les faire, et les donner. C’est pour cela que nous les distribuons nous même. On encourage les gens à retourner dans les salles de cinéma pour y voir des films différents et singuliers. Car la salle de cinéma reste avant tout un medium de diffusion indispensable pour certains films. Au cinéma on lève la tête vers le haut,  à la télévision ou sur internet on regarde vers le bas (Jean-Luc Godard)

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Vous précisez qu’il s’agit-là d’une « libre adaptation » d’Inferno : quelles libertés avez-vous choisi de prendre ? Dans quels buts ?

Avec un livre comme Inferno, il fallait trouver un procédé cinématographique différent pour illustrer la singularité de l’œuvre et de son auteur. Il fallait adapter l’âme du livre, et chercher au fond de chaque idée leur essence même. Nous avons voulu utiliser le cinéma non comme un moyen d’éducation mais comme une vision, une expérience, un témoignage sur le regard atypique de Strindberg à ce moment de sa vie.

 

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Pourquoi avoir choisi de créer ici un August Strindberg « muet » ?

Pour accentuer la folie dans laquelle était Strindberg et le rendre impuissant face à ce qui l’entoure. Comme tout homme de lettre de son époque, sa maîtrise des mots et du langage était son arme dans le monde. On a trouvé intéressant de le rendre vulnérable en l’imaginant muet alors que le monde qui l’entoure – qui est le monde de sa folie et de son imagination – le dépasse complètement au point d’éprouver une perte totale de contrôle sur cet environnement.

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De quelle façon vous êtes-vous basé sur le roman pour écrire votre film et les dialogues ?

Je préfère aborder Inferno comme un journal plutôt qu’un roman. Nous avons pioché dans le livre une dizaine de scènes que nous avons réadaptées fidèlement. Ces scènes nous ont ensuite servi de base pour tisser notre histoire. Car dans le journal il n’y a pas d’histoire, c’est un recueil d’anecdotes quotidiennes, donc difficilement adaptable au cinéma.

Avez-vous réutilisé des phrases exactes du roman ? Ou avez-vous préféré « alléger » le traitement des pensées de Strindberg ?

Tous les dialogues du monde imaginaire sont issues des œuvres de Strindberg. On retrouve les dialogues de Mademoiselle Julie, de Drapeaux noirs et de plusieurs autres de ses pièces de théâtre. Ça a été un véritable puzzle pour mon père Pierre Mille le scénariste du film et interprète d’August Strindberg que de construire les dialogues du film en piochant dans les œuvres de Strindberg et de les ré-adapter pour le cinéma.

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Quelles-sont vos autres sources en dehors du Journal d’Inferno  ?

Le Plaidoyer d’un fou et le Livre bleu ou encore La vie photographique de Strindberg et ses correspondances en plusieurs volumes. Tout est devenu source d’inspiration, nous étions jetés à cœur ouvert dans un monde d’une riche densité . Dans les premières pages du  journal d’Inferno, il y a même une petite pièce de théâtre, un « mystère » pour être exact, d’une douzaine de pages intitulée Coram Populo et sous-titrée « De Creatione Et Sententia Vera Mundi » que nous avons mis en scène dans le film de manière littérale. Nous avons voulu mélanger cinéma, théâtre et musique de manière décomplexée et novatrice. Il fallait illustrer l’avant-gardisme du grand homme suédois et de son époque. Je me suis même ordonné plusieurs fois de mettre en scène le film comme Strindberg l’aurait peut-être fait à son époque. Strindberg était présent avec nous pendant la production du film, un peu comme il avait été présent pour Ingmar Bergman dans l’immeuble où ce dernier résidait à Stockholm dans les années soixante. J’ai parfois l’impression que c’est lui ou son esprit, le vrai réalisateur de ce film, et que nous avons simplement été ses intermédiaires dans ce monde.

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Vous êtes-vous inspiré d’œuvres d’autres réalisateurs pour le travail très spécial de la lumière (à la bougie) ?

Bien sûr, le cinéma m’habite depuis longtemps, que je ne peux plus cacher les artistes qui me font avancer dans cet art si riche et complexe. Les premiers films de Werner Herzog pour leur narration, leur style et les personnages ; Antonioni  pour l’esthète et sa photographie ; Kusturica pour sa vision burlesque de la vie ; David Lynch pour le subconscient ; et Kubrick pour Barry Lyndon évidemment …

 

Pourquoi avoir choisi de tourner en pellicule Super 16 ?

L’argentique place le cinéaste dans une philosophie et un état d’esprit très différent que le numérique. Comme le disait Strindberg, ce n’est pas le résultat qui compte, mais la lutte pour y arriver. Et la pellicule impose une rigueur, une lutte pour la perfection.
Un cinéaste ne fait pas des films pour juste faire des films. Il doit proposer une alternative au regard convenu de ses contemporains sur le monde. Aujourd’hui dans notre civilisation du tout numérique, l’argentique me permet d’offrir au public une image différente pour amener le spectateur dans un monde où il n’a plus de repères.

Source : Article réalisé par le blog CHAT MASQUÉ : https://lechatmasque.wordpress.com/2012/07/30/inferno-le-film-ladaptation-cinematographique-du-roman-daugust-strindberg/